En Loucedé...


Fin 70, pour entendre la musique des groupes évoqués par les magazines de rock il fallait acheter LE disque ! Peu de radio et très peu de télé pour illustrer les articles de presse qui nous révélaient une fois  par mois seulement les artistes que l’on aurai aimé connaître un peu plus. Nous lisions les groupe avant de les écouter... Désargentés je traînais chez les disquaires à contempler les 33 tours exposées sous les néons. Elle étaient tentantes ces pochettes, hautes en couleurs : les Sex Pistols, néo dadaïsme jaune acide et rose bonbon, Les Damned, dripping à la never mind the Pollock, les grandes oreilles de Robert Gordon comme peintes par Grant Wood, Le costume brillant constellé d’oiseaux et de papillons de Wreckless Eric, La photo verte et rose de Mik Mellen pour le Datapanic in year zero de Pere Ubu… Tentation.

Un long manteau de gabardine acheté pour trois fois rien dans une vente de charité sera ma couverture pour commencer mes premiers larcins ! Il fait très chaud quand pour la première fois après un longue hésitation et un bref coup d’œil vers le vendeur affairé on sort avec un premier 33 tours sous le bras, les jambes on envie de courir mais il faut rester digne et nonchalant, respirer, avancer l’air de rien les mains dans les poches, tourner à gauche sous les arcades, traverser la place et prendre la petite rue devant l’église et enfin se mêler à la foule de la grand-rue.

Les grandes poches intérieures de ce pardessus engloutirons aussi à l’occasion Champagne et saucissons. On ne vis pas que de musique. Mais le manteau c’est bien pour deux ou trois disques. C’est beaucoup d’émotion à répétition et ça ne marche que l’hiver. Au printemps, reconverti à la méthode « sac de sport » par un ami, à l’abri derrière les bacs à disques de l’îlot central on enfourne en loucedé par poignées jusqu’à une vingtaine d’albums pour repartir le sac à l’épaule chargé comme un baudet... Au début l’accumulation est jouissive mais à la longue ça devient lourd, le risque de se retrouver au commissariat est plus grand et on se retrouve avec des disques inécoutables (pour ne vexer personne je tairais les noms), ça gâche la fête. Fin de la période industrielle pour moi.

Je vais me reconvertir dans le coup de cœur, l’aventure optimiste, et alléger la situation : Le 45 tours c’est petit ça tient dans la culotte et c’est l’époque des premiers jets de toute la nouvelle vague : Surfin’ Bird des Cramps, Little Johnny Jewel de Television, Sex Pistols, Warm Gun, Nerves Metal Urbain, Starshooter, Buzzcocks, Magazine...! De vraies vendanges pour moi, en grandes surfaces ou le dos tourné à la caisse des petites boutiques, les doigts dans le nez, sans bagage, sans mauvaise confiance, en chemise mais avec pantalon ! Je glane. Cette méthode servira aussi pour le munster du monop’ si par hasard je me retrouvai trahi par l’odeur, ces effluves pourraient passer pour un manque d’hygiène corporelle...

Ces disques merveilleux restent mes plus intenses moment de bonheur musicaux. Encore actuellement je les écoute avec une joie plus grande que l’écoute de n’importe quelle nouveauté. Je ne doit pas avoir l’esprit si ouvert que ça…


MAGAZINE : My Mind Ain’t So Open (Devoto/McGeock) 45 tours Virgin 1978 

Dessin : Odilon Redon


Le Colonel et ses amis réalisent « Opération Kangourou » : émission radiophonique de microsillons hors d’âge sur p-node.org (DAB+ Paris/Mulhouse) le samedi à 15h.


En Loucedé...

Fin 70, pour entendre la musique des groupes évoqués par les magazines de rock il fallait acheter LE disque ! Peu de radio et très peu de té...